Αρχείον Ιωάννου Καποδίστρια, τ. Δ΄
Title: | Αρχείον Ιωάννου Καποδίστρια, τ. Δ΄ |
Publisher: | Εταιρεία Κερκυραϊκών Σπουδών |
Date of Publication: | 1984 |
Pagination: | 364 |
Subject: | Ο Καποδίστριας στην Ελβετία |
Temporal coverage: | 1813-1814 |
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Ces démarches du gouvernement français ont réveillé toutes les prétentions du patriciat et celles des anciens cantons sur les pays sujets et les ci-devant bailliages. Elles ont entravé le cours des opérations de la diète, et ce n’est qu’avec des peines infinies que nous sommes parvenus à leur faire reprendre leur marche primitive et à les conduire vers un premier résultat, la composition du pacte fédéral.
C’est pour en hâter la conclusion que nous avons fait sentir aux plus marquants parmi les membres de la diète que l’envoi d’une députation à Paris pour féliciter Louis XVIII nous paraissait déplacé tant que la Suisse n’aurait point jeté les bases de son pacte fédéral et que conséquemment nous étions résolus de fixer l’attention de nos cabinets sur cet empressement de la part des 13 anciens cantons. Cette seule communication confidentielle a suffi pour les décider à ajourner la députation jusqu’à ce que le pacte fédéral fût achevé.
Le cabinet français doit directement ou indirectement contrarier notre ouvrage, parce qu’il est de son intérêt de voir la Suisse reprendre un système qui ne puisse s’y soutenir que par l’action continue de l’influence française. Les cantons aristocratiques et quelques-uns des petits cantons paraissent très disposés à seconder ces vues de la France. Il n’est peut-être pas impossible que l’Autriche dans l’intention de produire une opposition d’intérêts entre cette puissance et nous ne songe à faire revivre l’entreprise de M. de Senft. La conduite du comte de Bubna et de son successeur envers Genève semble offrir quelques indices de cette disposition à sacrifier aux intérêts de la France le système politique et territorial qui avait été adopté pour la Suisse. Le premier n’a jamais voulu autoriser formellement la ville de Genève à reprendre son gouvernement et le second s’est opposé à ce que le conseil provisoire qui s’était formé dans cette ville d’après le vœu unanime des habitants, manifestât son existence par un acte public.
Dans cet état de choses il est urgent de presser la reconstitution fédérale de la Suisse et d’insister pour que l’indépendance de ce pays ne soit reconnue par toutes les puissances de l’Europe que sur les bases du pacte fédéral. Je travaille assidûment afin que cet ouvrage soit promptement achevé. De votre côté, M. le comte, il semblerait important de prévenir à temps toute décision vague quant à la Suisse, afin qu’il n’arrive point, qu’en reconnaissant simplement et sans condition son indépendance, en abandonnant le système conçu pour sa reconstitution, on ne finisse par rejeter ce pays dans son anarchie et dans une situation qui appellerait nécessairement une intervention et une influence voisine. Or un état de choses si propre à compromettre la tranquillité future de l’Europe, ne semblerait-il pas à v. ex. devoir être soigneusement prévenu?
J’ai l’honneur. . .
Le comte Capodistrias
p. 127
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Nesselrode est ainsi prévenu d’une collusion possible entre les ministères autrichien et français, qui ont intérêt à prolonger l’anarchie en Suisse en retardant la conclusion du Pacte fédéral, et il pourra en tenir compte dans les pourparlers de paix qui ont lieu à Paris au cours de ces semaines.
Il est intéressant de noter que lors de la délibération à la Diète le 13 mai sur l’envoi d’une députation à Paris, Appenzell Rhodes Extérieures1 — c’est-à-dire le landamman Zellweger, très proche de Capodistrias — demande conformément à ses instructions que l’ambassade de félicitation à Louis XVIII n’ait lieu qu’après que la Suisse se sera reconstituée et que la Constitution fédérale aura été formellement reconnue par les Puissances étrangères. Malheureusement la Diète, malgré les injonctions conjuguées de Capodistrias et Zellweger, envoya sa députation à Paris. Monod relate ainsi l’événement:2
Quoi qu’il en soit, l’envoi fut décidé avant la conclusion de la discussion du pacte fédéral, et les nouveaux cantons eurent encore le crédit qu’ils n’auraient plus eu plus tard, de faire nommer trois députés au lieu de deux, et dans le nombre un des leurs. Le choix tomba sur moi, les deux autres furent de Mülinen pour les cantons aristocratiques et Reding pour les démocratiques.
La présence du landamman vaudois dans la délégation tempéra le caractère réactionnaire de celle-ci; mais la décision de la Diète d’envoyer une députation au roi de France, tout en ne se faisant pas représenter auprès des Alliées au Congrès de Paris, fut une erreur politique lourde de conséquences.
Lettre à La Harpe
Capodistrias profite du même courrier pour écrire une nouvelle lettre à La Harpe (Document n° 50). Il paraît quelque peu dépité de n’avoir pas reçu de réponse à sa lettre du 17 avril. Il garde l’espoir, assez ténu, que la Diète termine rapidement la rédaction du Pacte et envoie alors à Paris une députation aux gouvernements alliés, députation qu’il souhaiterait accompagner. Ce qu’il craint surtout, c’est que les choses traînent; il aimerait connaître l’avis de La Harpe sur la situation générale en Suisse, et plus particulièrement sur la question argovienne:
1. AEG, Gonf. B.l, Sommaire des délibérations de la Diète de 1814 à 1815 (manuscrit), p. 5.
2. Monod, op. cit., t. II, p. 244.
p. 128
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[...] Je ne sais quelle est l’opinion que vous portez sur cette question; je vous ai communiqué toutes mes observations à cet égard, je n’ai plus qu’un mot à dire: c’est qu’il faut solliciter une reponse definitive, n’importe la quelle, pourvu qu’on sache à quoi s’en tenir [...].
La Harpe nous livre ses réflexions à la lecture de la lettre dans des notes placées selon son habitude soit dans la marge, soit à la fin de la lettre. Il est tout à fait négatif devant toute transaction avec les Bernois sur l’Argovie et très sceptique devant l’évolution de la situation. Sa conclusion est des plus pessimistes:
[...] Mon seul désir aujourd’hui est que l’Emp. de Russie se retire pur, comme il s’étoit présenté, puisqu’il n’a pas dépendu de lui, de nous sauver, et que nous n’avons ni sçu, ni voulu profiter de Sa Bienveillance.
Nous pouvons supposer que ces remarques sont les éléments d’une réponse; mais nous n’avons pas la preuve qu’il ait effectivement écrit à Capodistrias. Nous serions tentée de penser qu’il n’en a pas eu le temps, harcelé par le travail qu’il effectuait pour le tsar au cours de ce mois de mai à Paris; et cela expliquerait en partie le fait que Capodistrias, déçu, ne lui demande plus conseil au cours de l’année 1814.
L’acheminement d’un courrier aussi confidentiel devait présenter des difficultés réelles, comme nous l’apprenons d’une lettre de Monod au Petit Conseil vaudois, résumée en ces termes dans le registre:1
[Monod] fait part d’un entretien qu’il a eû avec Mr le Comte de Capo d’Istria, qui lui a témoigné combien il était indisposé des lenteurs de la Diète et de la Commission, en lui disant qu’il voulait que cela finit, qu’il pensait donc à envoyer un Mémoire à Mr de La Harpe, pour le communiquer à l’Empereur et lui demander des ordres prompts, que ne pouvant ecrire par la poste, il remettra son paquet, ces premiers jours, à lui C(itoye)n Monod pour l'expédier; qu'alors il (le Cn Monod) l'enverra au Petit Conseil pour le faire partir aussi-tôt par un exprès, qui attendra la réponse; qu'afin de ne pas retarder il faudrait que la personne se tint prête; que le Cn Secretan a dit qu'un de ses fils se chargerait volontiers de cette Commission [...].
Le 5 mai, Capodistrias confie ses lettres pour Nesselrode et La
1. ACV, Rég. des délibérations, p. 190. Séance du 4 mai, lettre de Monod du 1er mai.
p. 129
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Harpe à Monod (Document n° 51), qui les transmet le jour même au Petit Conseil à Lausanne. Dans le procès-verbal de la séance du 8 mai:1
On lit une lettre du Cn Conseiller Monod, en date du 5e du courant, reçue hier au soir, et contenant le paquet annoncé de Mr de Capo d’Istria [...]. Le Citoyen Président fait connaître qu'il a remis le paquet au Cn Samuel Secretan, qui est parti hier au soir, avec ordre de faire diligence et d’attendre la réponse pour la rapporter à Zurich.
Ce messager de confiance reviendra de Paris en passant par Zurich, où il arrivera le 18 mai, comme nous l'apprend une lettre de Muret:2
[...] que son père [Secretan] a porté les dépêches à Mr de Capo d’Istria, qui l'a invité à diner pour le 19; qu'il apprendra quelque chose et que la Députation en informera le Petit Conseil. Il ajoute qu'on disait que Mr de Capo d’Istria devait partir le 20 pour Paris, ensuite des dépêches qu'il a reçues [...].
Second projet de Pacte fédéral
Le second projet du Pacte fédéral fut soumis par la Commission diplomatique à la Diète dès le 10 mai 1814. Il reprenait dans ses grandes lignes le projet de février, mais était plus développé, comprenant 43 articles et tenant largement compte du mémoire du 21 avril. Ce projet avait de nouveau été préalablement envoyé aux ministres des Puissances alliées, qui en accusent réception et font quelques observations le 10 mai déjà (Document n° 52). Ils espèrent que le projet sera accepté et insistent surtout sur la nécessité de terminer l'ouvrage avant que la députation suisse ne se rende à Paris. Les observations, peu développées, portent essentiellement sur l'organisation de la Diète et du Conseil fédéral; elles sont écrites sur le papier bleuté caractéristique du secrétariat de Schraut.
Les articles furent discutés, l'un après l'autre, du 10 au 28 mai et pour la plupart adoptés «à la pluralité». Quelques-uns d’entre eux suscitèrent d’âpres discussions, en particulier l'article premier. Cet article «garantissait aux XIX cantons leur existence et leurs constitutions, lorsqu'elles auraient été acceptées par les autorités supérieures de chaque canton et reconnues par la Diète; mais il réservait les
1. ibidem, p. 195. Séance du 8 mai, lettre de Monod du 5.
2. ibidem, p. 207. Séance du 21 mai, lettre de Muret du 19.
p. 130
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rectifications qui pourraient être faites à leurs limites, après entente entre eux et approbation de la Diète. Cette clause était destinée évidemment à engager les Etats encore hésitants à se rallier au Pacte, malheureusement elle encourageait les réclamations territoriales que les ministres avaient cherché à éviter.»1 Berne profita de l’occasion pour réitérer ses revendications territoriales. Sur quoi, Monod étant absent, le député vaudois Muret se concerta immédiatement avec les Argoviens et ils décidèrent ensemble d’en parler à Capodistrias. Le 14, Muret est en mesure d’annoncer au Petit Conseil de Vaud2 «que Mr le Comte de Capo d’Istria a vû les Députés Bernois; mais que comme ils avaient agi d’après une instruction très positive de leur Gouvernement, il n’y avait pas lieu à les faire revenir de leur déclaration». D’où la décision d’une protestation officielle des députés de Vaud et d’Argovie contre la déclaration bernoise, protestation inscrite au Protocole de la Diète en date du 16 mai 1814.
Quant aux questions confessionnelles, toujours brûlantes en Suisse, la Commission diplomatique ne les avait pas abordées, estimant qu’il appartenait aux constitutions cantonales de les régler. L’arrivée à Zurich du nonce apostolique Testaferrata allait bouleverser les choses. En effet, il demande à la Diète dans une note du 7 mai de garantir dans les cantons catholiques et mixtes la religion catholique et l’existence canonique des couvents. A une très faible majorité, la Diète finit par accepter l’article suivant:3 «L’existence des couvents et des chapitres, et la conservation de leurs propriétés, en tant que cela dépend des gouvernements des cantons, sont garanties. Ces biens sont sujets aux impôts et aux contributions publiques comme toute autre propriété particulière.» Article funeste, puisqu’il fut à l’origine de la guerre civile du Sonderbund en 1847.
Si Capodistrias ne se prononce pas sur la question de fond, il entre en opposition avec le nonce à propos de Saint-Gall. Le libéral zurichois Paul Usteri écrit le 16 mai à son ami Monod:4
[...] Mr Capo d’Istria m’assura hier qu’il alloit Vous ecrire. Il se montre toujours assez indisposé contre la Diete, contre ses
1. Van Muyden, op. cit., p. 118. Sur le projet du pacte, p. 116 sv.
2. ACV, Rég. des délib., p. 202. Séance du 16 mai, lettre de Muret du 14 mai 1814.
3. Van Muyden, op. cit., p. 123.
4. BCU, Fonds Monod, Km 264.21. Lettre de Paul Usteri à Monod, Zurich, 16 mai 1814.
p. 131
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meneurs et contre Berne, et toujours il reste avec son système de persuasion. Avec le nonce il s’est nettement expliqué contre l’abbé de St Gai, il a écrit la-dessus à Mr de Lebzeltern et voudra je pense user encore du moyen de persuasion auprès de S.S.. Cependant peu à peu mais trop tard il s’avance plus vers l’idée de la Mediation, qui pour valoir quelque chose ne devoit se faire par lambaux. Il m’a chargé hier d’ecrire à Mr Müller-Friedberg, qu’il desire le voir arriver ici avec un ou deux membres de la commission du Gr. Cons, pour terminer en deux fois vingt quatre heures leurs affaires devenues très-embrouillees. — Et ce qui vaut mieux, il m’a assuré enfin, qu’il alloit exposer a l’Empereur la nécessité de laisser aumoins pour 5 ans ou environ un Ministre en Suisse. Voila qui coincide avec le grand point que je vous recommande encore; que notre ami commun [La Harpe] travaille à nous obtenir quelques bons ministres [...].
L'idée de convoquer à Zurich quelques-uns des membres chargés de rédiger la constitution de Saint-Gall, nous la trouvons aussi dans une lettre du député Reutti à Müller-Friedberg, datée du 15 mai.1 Reutti va plus loin: que l'on envoie une douzaine d’hommes capables et bien pensants parmi lesquels on choisira le nombre et les personnes indiquées. Nous avons toutes les raisons de penser que le «on» est Capodistrias dont le nom est cité immédiatement après, qui a reçu un (ou deux?) membres du Grand Conseil de Saint-Gall, auxquels il a recommandé l'ordre et le calme; il les a assurés que leur gouvernement serait soutenu s'il châtiait sévèrement les personnes qui se permettaient d’intriguer. L'irritation du ministre dans cette période de sourdes machinations transparaît donc dans la plupart des documents.
Le 20 mai, Paul Usteri annonce à Müller-Friedberg2 le départ imminent de Capodistrias pour Paris; il faudra attendre son retour pour reprendre les discussions sur la constitution saint-galloise; dans un post-scriptum, il ajoute: «Donnez moi une petite Note courte, precise, sans trop de raisonnement sur votre canton pour l'adresser à Monod, à Lah. et à C. d’Istria.»
Mémoire de Capodistrias sur le projet du Pacte
Le jour même de son départ pour Paris et alors que les discussions sur les articles du Pacte sont quasiment terminées, Capodistrias
1. STAATSARCHIV, Saint-Gall, Miiller-Friedberg Archiv, n° 129. Lettre de Reutti à Miiller-Friedberg, Zurich, 15 mai 1814.
2. ibidem, n° 133. Lettre de Paul Usteri à Miiller-Friedberg, Zurich, 20 mai 1814.
p. 132
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envoie à Reinhard un second mémoire sur le Pacte (Document n° 54), introduit par une lettre dont il est seul signataire, mémoire écrit sur le papier saumon doré sur tranche caractéristique de sa correspondance et par son secrétaire habituel, contresigné tout de même par ses collègues. Le sommaire des délibérations de la Diète de 1814 en donne un résumé succinct:1
[...] On communique confidentiellement aux Députés et on remet aux délibérations de la Commission Diplomatique un mémoire détaillé des ministres de Russie, d’Autriche et de Prusse qui contient diverses vues sur la situation actuelle et la réorganinisation politique définitive de la Suisse relativement à la ratification et à l’exécution de la nouvelle constitution fédérale, à l’achèvement des Constitutions Cantonales, à la réunion à amener des pays qui doivent être rendus à la Suisse, à la rectification des frontières qui pourrait avoir lieu entre les Cantons, et enfin à la conservation d’un paisible état in statu quo jusqu’à l’époque où le nouvel ordre de choses s’établiroit.
Dans son mémoire, Capodistrias ne revient pas sur les questions de forme ou de fond qu’il considère comme résolues, mais il envisage l’avenir. Ce qu’il veut, c’est la mise en vigueur du nouveau régime selon un calendrier strict et une marche à suivre logique. «Afin d’accélérer ce grand résultat il serait peut être utile que les députés respectifs se chargeassent de porter eux mêmes à leur Comettans le Pacte fédéral et de leur exposer toutes les considérations qui ont déterminé les Conseils de la Commission, et les opinions de la Diète.» Le mois de juillet lui paraît favorable pour la réunion de cette Diète solennelle. Pour préparer les projets de délibération de cette assemblée, il propose de laisser en activité la Commission diplomatique, qui serait chargée entre autres d’examiner les constitutions cantonales et de «préparer le rapport d’après lequel la Diète constitutionnelle émettrait l’Acte de Garantie fédérale qui protégerait les Constitutions des Etats».
La Commission diplomatique pourrait également s’occuper de la question de la rectification des frontières, tant intérieures qu’extérieures, et des négociations avec les Etats qui sont appelés à devenir de nouveaux cantons. Enfin, il ne dissimule pas les risques de la crise qui pourrait secouer pendant cette période intérimaire de mai à juillet les cantons dont la constitution n’est pas encore révisée et les territoires dont le sort n’est pas encore fixé. Pour éviter l’anarchie, il est nécessaire
1. AEG, Gonf. B.1, p. 6-7, séance du 19 mai 1814.
p. 133
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que la Diète se mette d’accord sur un certain nombre de principes qui seraient les suivants:
[...] que l’on doit strictement
1° Bespect et soumission aux autorités établies dans chaque Etat.
2° Que tout acte, ou decision pris dans un Etat sans le concours du Gouvernement par une portion détachée des Citoyens, sera considéré comme nul et non avenu, et même comme attentatoire à l’ordre et à la tranquillité publique.
3° Que le statu quo dans l’intérieur de la Confédération qu’on veut consacrer jusqu’a ce que le nouvel ordre soit mis en activité, est la situation dans laquelle il faut que la Suisse reste, afin que les Magistrats auxquels est livré le travail important de la reconstitution puissent s’acquitter de leurs fonctions.
Ces principes seront repris textuellement dans la circulaire qui fut adoptée par la Diète le 31 mai et devait accompagner le projet du pacte fédéral, envoyé dans chaque canton. Enfin, les cantons devaient se prononcer avant le 11 juillet sur l’acceptation ou le rejet du Pacte fédéral.1
Alors que le mémoire du 21 avril avait dans l’ensemble été accueilli favorablement, celui du 20 mai provoque un véritable tollé, comme en témoignent les lettres que Paul Usteri envoie à Monod pour le tenir au courant des travaux de la Diète.2 Le 22 mai:
[...] Vous serez informé plus amplement par Vos collègues et par Mr Hürner de la seance scandaleuse d’hier. La note du 20, remise par Mr le Comte de Capo d’Istria avant son depart, et ce depart même ont produit un effet, auquel lui ne s’attendoit pas. On l’a traité de jacobin et d’anarchiste; on répand le bruit qu’il ne reviendra plus. On a refusé hautement l’ajournement de la Diète qu’il avoit conseillé. On se moque de toutes ses insinuations relativement aux constitutions cantonales. Enfin on abuse plus que jamais des menagemens et de la genereuse indulgence que cet homme respectable a manifesté depuis six mois [...].
Le 25, il surenchérit:
[...] Il ne se passe pas de jour sans quelque nouveau scandale à la Diète, ni sans quelque evenement sinistre dans les cantons.
1. Van Muyden, op. cit., p. 124-126; Lascaris, op. cit., p. 52.
2. BCU Fonds Monod, Km 264.22, lettre de Paul Usteri à Monod, Zurich, 22 mai 1814; Km 264.23, lettre du 25 mai 1814; Km 264.24, lettre du 31 mai 1814.
p. 134
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La Diète rejette la revision des const, cantonales proposée dans le Memoire de Mr le Cte de Capo d’Istria et le système de Berne triomphe là de plus en plus.
Enfin le 31:
[...] Tout continue d’aller fort mal ici, et l’alternative me paroit claire: ou bien Mr C.d.I. revient avec des ordres pour une mediation formelle, ou dans quelques mois tout sera bouleversé. Les complimens et les menagemens n’opereront plus rien. La reprise de ce système offrira à ceux qui veulent dominer la preuve, qu’ils peuvent agir librement, et ils agiront... Vous êtes informé par vos collègues, je presume, que rien, absolument rien de tout ce que conseilloit la Note des Ministres du 20 Mai n’a été adopté par la Diète; que tout ce qui regarde les constitutions cantonales a été repoussé dédaigneusement [...].
Pourquoi cette levée de boucliers? Nous pensons que le fait que Capodistrias ait ouvertement pris le parti de Müller-Friedberg, ami des libéraux Usteri, La Harpe et Monod, contre le nonce et l’abbé de Saint-Gall, l’a discrédité dans les cantons catholiques. Mais surtout certains cantons — Berne en tête — ont été fortement irrités par la partie du mémoire qui traitait des constitutions cantonales et par la recommandation de Capodistrias de les harmoniser! Pourtant son analyse de la situation intérieure de la Confédération est très prudente. Mais sous le style fleuri et laudatif, il apparaît tout de même que les ministres admettent le statu quo dans les cantons démocratiques, c’est-à-dire à Landsgemeinde, qu’ils n’interviendront pas dans les constitutions des cantons libéraux comme Bâle, Zurich et Schaffhouse (dont le projet sera pourtant particulièrement réactionnaire), ni à Lucerne dont ils ont déjà approuvé — on s’en souvient — la constitution. Mais par contre ils attendent un projet amendé des cantons aristocratiques de Berne, Fribourg et Soleure. En contrepartie, ils demandent des nouveaux cantons, issus de la révolution, la suppression de certains principes paraissant trop révolutionnaires.
Intervention des ministres à Berne
On peut supposer que c’est à la veille de la remise de ce mémoire et du départ de Capodistrias pour Paris que les ministres des Puissances alliées se sont réparti le travail consistant à conseiller les gouvernements de ces cantons. L’aristocratique baron de Chambrier passera à Berne, Fribourg et Soleure, alors que le ministre du tsar,
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épaulé par Schraut, s’occupera des constitutions de Saint-Gall (nous avons vu ses rapports avec Müller-Friedberg à ce propos), de Vaud et d’Argovie.
Pour introduire la visite de Chambrier, les ministres ont rédigé une lettre au Conseil secret de Berne, datée du 19 mai (Document n° 53). Il faut constater qu’il s’agit bien d’une immixtion dans les affaires internes de cantons puisque nous lisons:
[...] En conséquence le Baron de Chambrier qui retourne à Neufchâtel ayant l’intention de prendre la route par Soleure Berne et Fribourg, les Ministres Impériaux Soussignés l’ont invité à voir en passant les Magistrats de ces trois villes, et en retour des marques de confiance que les Soussignés ont reçues d’eux, à leur indiquer confidentiellement un petit nombre de bases constitutives, comme propres à concilier les intérêts, les convenances et les partis.
Les ministres outrepassent leur rôle de conseillers en concluant:
[...] Par l’adoption de ces bases, les trois Cantons affranchiroient leurs Constitutions de tout examen ultérieur et la Diète n’en prendroit connoissance que pour la forme et afin de les garantir. C’est l’assurance que leur donnent les soussignés, en même temps qu’ils les invitent de la manière la plus instante a faire généreusement quelques sacrifices devenus nécessaires et à mériter par là, la reconnaissance de la Suisse entière.
Le Conseil de Berne répond de façon circonstanciée le 30 mai 1814.1 L’effet quelque peu brutal de la note a été atténué par le fait que
Son Excellence Monsieur le Baron de Chambrier a bien voulû accompagner la remise personnelle de cette Note de tout ce que les Sentimens bienveillans de Leurs Excellences peuvent avoir d’obligeant pour l’Etat de Berne, et le Conseil Secret, appréciant les Intentions, qui les ont porté à cette démarche, se fait un devoir de leur en offrir sa reconnaissance.
Messieurs de Berne estiment être parfaitement en règle avec les conseils prodigués:
[...] Le Gouvernement de Berne éprouve la satisfaction d’être venû au devant des vuës de Leurs Excellences. —Après avoir re-
1. STAATSARCHIV, Berne, Akten des Geheimen Raths, Band I. Lettre du Conseil secret de Berne aux Ministres des Puissances alliées, Berne, le 30 mai 1814.
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pris, ensuite de l’abolition de l’acte de médiation, l’ancienne forme, sous laquelle la République avait joui de plusieurs siècles de tranquillité et de bonheur, il ne connaît parmi ses administrés aucun parti, qui pût faire envisager avec vérité la voix du peuple comme contraire à l’ancienne organisation politique de la République; et Berne, de tous les Etats de la Suisse, eut été peutêtre le plus fondé à ne point dévier des bâses antiques, qui avaient soutenu l’édifice de Sa prospérité et qui pouvaient l’affermir de nouveau.
Quant à la représentation de la campagne, ils la lient très subtilement à l’étendue des territoires que les Alliés voudront bien leur accorder (c’est le moment où Mülinen défend les intérêts bernois à Paris):
[...] L’organisation définitive des pouvoirs politiques du Canton doit essentiellement dépendre de l’étendue de Son territoire; et si celle ci, ensuite de la négociation entamée à ce sujet sous l’autorisation de Leurs Excellences Messieurs les Ministres Plénipotentiaires à Zurich, sera telle, que Berne se permet de l’espérer de leurs bons offices, alors le nombre des membres du grand Conseil appellés de la Campagne, approchera de très prés la proportion du tiers, que Leurs Excellences paraissent désirer, et cet obstacle au complément de l’organisation sera levé.
Et ils terminent en revendiquant le droit à l’indépendance. Seuls, les Bernois étaient assez puissants pour oser mettre ainsi les «points sur les i», mais leur façon de voir devait être partagée par beaucoup !
Mais si Berne s’efforce ainsi de signaler les égards qu’elle porte à leurs observations amicales, elle demande avec la même confiance d’être maintenue dans le droit imprescriptible d’un Etat souverain, auquel il appartient exclusivement de statuer sur son organisation. Les hautes Puissances alliées, en déclarant par la note de leurs Chargés de pouvoirs en Suisse du 1er Janvier 1814 qu’Elles ne prétendent nullement de s’immiscer dans les affaires intérieures de la Suisse, ont hautement reconnu et sanctionné ce Principe. Ils est consacré encore par les antiques Traités d’union entre les Etats de la Confédération Helvetique; ces Traités, en se bornant à la garantie réciproque de la liberté, de l’indépendance et de la sûreté contre toute agression extérieure ou intérieure, avaient assuré à la Commune Patrie des siecles de paix et de bonheur, et on y avait évité avec soin des stipulations incompatibles avec les droits de souveraineté d’un Etat libre. Animé des sentimens de Ses ayeux envers ses Confédérés, Berne désire renouveller la vraye base fondamentale et solide du Pacte fédéral, elle ne peut recevoir ni admettre une autre garantie, que celle énoncée ci dessus. — Soumettre à celle de la Diète les Constitutions can-
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tonales, ce serait non seulement entraver les modifications que le changement des Tems pourrait y rendre nécessaire pour le bien public, mais accorder à la Diète un pouvoir éminemment attentatoire à la Souveraineté de chaque Etat; et Berne, loin de prêter la main à sa lézion, espère au contraire voir la Sienne respectée et protegée [...].
à Soleure
Nous nous attendions à trouver dans les archives de Soleure l’équivalent de la note que les ministres adressent à Berne le 19 mai pour annoncer le passage de Chambrier. Ce n’est pas le cas; par contre, il s’y trouve une copie de la réponse du gouvernement bernois du 30 mai.1 Les Bernois ont donc tenu au courant de leur prise de position leurs fidèles alliés. Les Soleurois paraissent avoir eu une attitude plus souple et conciliante, si nous nous référons à la note qu’ils adressent le 18 mai déjà aux ministres et qui fait allusion à une correspondance malheureusement disparue.2 Il est vrai qu’ils cherchent à obtenir leur appui pour des revendications territoriales très précises, portant sur les villages situés outre-Jura, annexés à la France dans les années précédentes, mais aussi sur les bailliages bernois de Bipp et Wangen, enclaves dans le canton de Soleure, qui coupent les communications entre les deux parties du canton. Il est évidemment plus délicat de s’attaquer à un allié:
[...] En soumettant ces considerations à la Sagesse de vos Excellences nous pensons aucunement vouloir frustrer notre cher confoedéré le Gouvernement de Berne d’une partie de Ses propriétés. Mais dans un moment, ou nous sommes à la Veille de la Grande rectification des limites, il pourrait être possible a V. EE., de trouver le moyen de concilier nos intêrests réciproques, en dedomageant le Canton de Berne soit dans son territoire perdu ou par un equivalent.
La question restera en suspens; nous pouvons mentionner maintenant la réaction pleine de bon sens de l’un des délégués suisses au Con-
1. STAATSARCHIV, Soleure, Schreiben des Tagsatzungs Praesident und Vororts Zürich 1814.
2. STAATSARCHIV, Soleure, Tagsatzungs Korrespondenz von Luzern und Zurich vom 1. März 1814 bis 31. Dezember 1814. Copie d’une note à leurs Excellences Messieurs les Ministres plénipotentiaires des hautes puissances alliées près de la Confédération Suisse a Zuric, Zurich le 18 May 1814.
p. 138
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grès de Vienne à une démarche similaire du Gouvernement de Soleure,1 le Fribourgeois de Montenach:
[...] Comme bon Suisse et fribourgeois je me ferai toujour un devoir de manifester envers le haut Etat de Soleure, les sentimene et le dévouement, que professe à son égard mon gouvernement; je saisirai avec empressement toutes les occasions, ou je pourrai être utile à Vos Excellences [...].
La rectification des limites de votre Canton soit du côté de l’évêché, soit du côté de Berne, est un besoin que vous fait éprouver votre situation topographique, je ne doute pas, que notre ancien confédéré et combourgeois le gouvernement de Berne ne sente toute la justesse de vos motifs, mais je pense, que pour cet objet, il ne peut pas être discuté ici, mais qu’il est l’affaire d’une convention entre les deux Cantons; quant à la partie de l’êvéché, qui peut vous convenir, je prie Vos Excellences d’être persuadées, que je me réunirai avec zèle à mes Collègues pour obtenir une chose, qui vous soit agréable [...].
à Fribourg
La lettre du 19 mai (Document n° 53) fut remise, à Fribourg ou ailleurs, au cours d’un entretien entre Chambrier et l’avoyer Charles de Werro. Le Grand Conseil fribourgeois, mis au courant par celui-ci, réagit plus tardivement que Berne, le 7 juin seulement, mais dans une missive dont la copie ne couvre pas moins de cinq pages du gros recueil du Protocole de la Commission Souveraine, pour tenter de justifier sa position et les dispositions adoptées dans la constitution cantonale qui avait été discutée par le Grand Conseil du 4 au 10 mai 1814 et adoptée ce jour-là. Cette constitution fribourgeoise de 1814, qui n’appliquait pas le principe de la séparation des pouvoirs, jugé subversif, assurait la prépondérance dans les conseils et le gouvernement au patriciat urbain au détriment de la campagne.2 Les ministres devaient en connaître la teneur lorsqu’ils rédigèrent leur lettre du 19 mai; et plus que les Bernois et les Soleurois qui n’avaient pas encore terminé leurs travaux constitutionnels, les Fribourgeois vontse sentir directement visés par les critiques des ministres. Voici le début de la lettre fribourgeoise:3
1. ibidem, lettre de J. de Montenach, Vienne le 19 octobre 1814.
2. Gaston Castella, Histoire du canton de Fribourg, Fribourg 1922, p. 477-480. Histoire du Canton de Fribourg (par G. Bavaud, J. P. Uldry, G. Andrey, J. Dubas), 2 vol., Fribourg 1981 ; ici t. II, p. 782-783.
3. ARCHIVES D’ÉTAT, Fribourg, Protocole des Délibérations et de la Correspondance de la Commission souveraine du Gouvernement 1814, p. 161-166, n° 132, 7 juin, copie de la note à Schraut, Capodistrias et de Chambrier.
p. 139
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S.E. Μr l’avoyer en charge a présenté au grand Conseil de la Ville et république de Fribourg la note confidentielle datée du 19 mai dernier, que S.E. Mr le baron de Chambrier lui a remise de la part des ministres plénipotentiaires de leurs majestés impériales et royales.
Si son contenu a dû surprendre, il a en même tems fait naître ce sentiment pénible, qu’éprouve un gouvernement, lorsque, sans y avoir donné lieu, il voit sa dignité compromise, les droits les plus sacrés méconnus, et ses institutions les plus respectables menacées d’une subversion totale.
Jaloux de mériter le suffrage des hautes puissances alliées, empressé même d’aller au devant des vœux, qu’il pouvoit supposer être dans leur pensée, le gouvernement de Fribourg a procédé avec maturité à sa reconstitution, en suivant les maximes d’une saine politique et d’une sage libéralité. Son travail est fini; il est le fruit de quatre mois de méditation, l’ouvrage de ses magistrats les plus éclairés [...].
[...] Maintenant l’œuvre spontanée de magistrats sages, également familiarisés avec les besoins de l’état et l’esprit du Siècle sera-t-elle détruite? Les hautes puissances alliées peuvent elles vouloir dans leur justice, qu’un gouvernement, qui ayant pour lui la sanction du tems et la légalité des formes, s’est reconstitué sous leurs auspices, soit avili à ce point? [...].
La Commission souveraine s’oppose, dans la suite de la lettre, au principe d’une commission centrale qui contrôlerait les constitutions cantonales; elle fait un historique de l’existence de la bourgeoisie secrète appelée aussi patriciat, qui jouit des mêmes prérogatives que celles de Berne, Soleure et Lucerne. Elle tente de justifier le rétablissement du régime aristocratique et affirme enfin que les habitants de la campagne sont suffisamment représentés dans les Conseils. Nous verrons que les ministres seront loin d’être convaincus par ces arguments.
Capodistrias à Paris
Il n’y a dans les archives suisses qu’un seul document écrit et signé par Capodistrias au cours de son séjour parisien (Document n° 55). S’il a été convoqué à Paris, c’est à la suite de son rapport alarmiste du 5 mai au tsar et de sa lettre du même jour à La Harpe.1 Et c’est aussi pour rendre compte des délibérations difficiles qui ont lieu à la Diète au cours de ce mois de mai au sujet du Pacte fédéral. Mais il arrive à Paris le 25 mai seulement, trop tard pour influencer d’une quelconque façon les décisions prises
1. Voir ci-dessus, p. 126 et Document n° 50.
p. 140
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au cours des conférences qui se sont tenues pendant les mois d’avril et de mai et aboutissent à la signature du Traité de Paris du 30 mai 1814. Le seul témoignage important du séjour parisien du ministre est celui qu’il en donne dans son autobiographie:1
J’adressai conséquemment un rapport à sa Majesté, par lequel je prenais la liberté de Lui rappeler la promesse donnée à Troyes et solliciter la permission de me rendre à Paris. Cette autorisation me fut immédiatement accordée, mais les ordres n’arrivèrent à Zurich que quinze jours plus tard, et lorsque les articles du traité de Paris étaient déjà arrêtés. La question des îles Ioniennes se trouvait ainsi décidée de fait, attendu que la convention préliminaire et les actes successivement signés par les puissances alliées accordaient à l’Angleterre l’occupation militaire des îles et le droit de souveraineté sur Malte. J’en fis l’observation à Sa Majesté Impériale en Lui exprimant les vifs regrets que me causait un arrangement si peu conforme à la justice et aux espérances légitimes des Septinsulaires. L’Empereur me répondit, que rien n’était statué définitivement; que les négociations relatives au sort de ma patrie s’ouvriraient à Vienne et que j’en serais chargé. «Sire, nous n’obtiendrons rien. Les Anglais sont souverains de Malte et tiennent garnison à Corfou. Ils savent qu’on ne fera pas la guerre pour les en faire sortir». — «Il ne faut pas se décourager. Voyez en attendant le traité de Paris et faites-moi un rapport sur les dispositions qu’il contient». Je m’acquittai de cet ordre et Sa Majesté fut frappée de la conclusion à laquelle menait forcément l’analyse de cet acte. Elle démontrait qu’on avait suivi un ordre inverse; que l’Autriche, la Prusse et la Russie se présentaient au futur congrès comme des états qui ont tout à obtenir, tandis que l’Angleterre et la France y arrivaient en puissances qui n’avaient plus rien à demander et conséquemment tout à accorder; que dans cette position la partie n’était plus égale, même entre les trois cours aux prétentions desquelles il s’agissait de faire droit au congrès. Car il suffisait qu’une d’elles fît cause commune avec l’Angleterre et la France, pour que les délibérations prissent impunément une direction préjudiciable aux intérêts des deux autres. L’Empereur après quelque silence me répondit: «Tout cela est de la doctrine — ne soyez pas en peine, je me tirerai d’affaire. Parlons plutôt de vos débats helvétiques».
Capodistrias y exprime clairement le sentiment qu’il ressent d’arriver trop tard pour la question qui lui tient avant toute autre à cœur: le sort des îles Ioniennes. La concession faite par les puissances alliées à l’Angleterre d’occuper militairement les îles lui paraît une décision
1. Autobiographie, p. 189-192. Cf. A.I.K., t. I, p. 20.
p. 141
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irrémédiable, et l’espoir vaguement exprimé par Alexandre d’un changement possible au Congrès de Vienne, utopique. Le ministre est ici beaucoup plus réaliste que son maître: on se rappelle qu’il avait, avec ses collègues, conseillé à la Diète helvétique, dans l’affaire de MoutiersGrandval ou celle de la Valteline, d’occuper militairement la région convoitée, certain que personne ne viendrait les en chasser. (Et que dans le second cas, les Suisses, trop lents et scrupuleux, avaient été précédés sur le terrain par les Autrichiens qui, malgré les délibérations du Congrès, le conservèrent par la suite.) Et l’on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle les propos désabusés de Capodistrias: «Ils (les Anglais) savent qu’on ne fera pas la guerre pour les en faire sortir», avec un entretien que Pictet de Rochemont a réussi à arracher à Lord Castlereagh le 25 mai 1814, à son réveil (à midi!).1 A Pictet, très inquiet de la tournure que prennent les événements pour Genève, où malgré les assurances données précédemment par les Alliés, le roi de France refuse de céder le Pays de Gex, Castlereagh répond: «Cela est vrai. Mais on ne peut rien opposer au refus formel de la France en cette circonstance. Nous ne pouvons pas faire la guerre exprès et la forcer à céder des sujets pour vous les donner.» Il est évident que les petits Etats seront toujours floués dans l’intérêt des grands.
C’est assez sèchement, nous l’avons vu, que le tsar ramène Capodistrias à l’objet de la mission diplomatique, soit les affaires suisses:2 «Parlons plutôt de vos débats helvétiques.»
Je lus alors à Sa Majesté un rapport qui établissait en principe la nécessité indispensable de donner à la conciliation des Suisses une base équitable et solide en faisant droit à quelques-unes des prétentions légitimes du canton de Berne. J’indiquai en même temps les moyens dont les cours alliées pouvaient disposer à cet effet. «Vous voilà donc devenu Bernois dans la force du terme». Je répondis alors à l’Empereur avec une profonde émotion, que si telle était Son opinion, ce n’était plus moi qui pouvais avoir le bonheur de Le servir en Suisse. Sa Majesté se leva et me dit. «C’en est assez pour aujourd’hui, je vous ferai venir encore une fois avant Mon départ».
C’est certainement le projet de la cession du Fricktal à Berne qui serait
1. Lucien Cramer, Genève et les traités de 1815. Correspondance diplomatique de Pictet de Rochemont et de François d’Ivernois, Paris, Vienne, Turin 1814-1816, Genève 1914, tome I, p. 79. AEG, Aff. étrang. 25d, f. 161-162. Brouillon de cette conversation corrigé de la main de Pictet.
2. Autobiographie, p. 191. Cf. A.I.K., t. I, p. 20-21.
p. 142
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échangé par la suite contre l’Argovie dite bernoise que Capodistrias défend devant son souverain. Ce projet était fortement désavoué par La Harpe, on s’en souvient; et c’est évidement ce même son de cloche que nous trouvons chez Monod, qui raconte ainsi l’entrevue de la délégation suisse, composée de Mülinen, de Reding et de lui-même, avec l’empereur de Russie, le 1er juin vraisemblablement.1
L’audience que nous accorda l’empereur d’Autriche fut assez insignifiante, celle de l’empereur de Russie fut plus intéressante en ce qu’il nous réitéra l’assurance que l’Argovie ne serait pas réunie à Berne. Là-dessus de Mülinen crut devoir prendre la parole et défendre les droits de son canton, mais l’empereur se prononça d’une manière péremptoire, ce qui me tira d’un grand embarras. Je n’aurais pu me dispenser de répondre à de Mülinen; c’était nous rabaisser au rôle de solliciteurs, qui me répugnait si fort, et renouvelait nos dissensions. L’empereur m’évita cette humiliation et me prouva que nous étions parvenus à déjouer une nouvelle intrigue, dont j’avais eu connaissance, qui prétendait à rien de moins qu’à rendre à Berne une partie du Canton d’Argovie.
Déjà avant mon départ de Zurich il courait un bruit sourd que les Bernois s’étaient vantés que cette restitution aurait lieu; nous n’y avions pas fait autrement attention. Mais le comte Capo d’Istria étant arrivé à Paris peu de temps après nous, pour rendre, me dit-il, compte à l’empereur de l’état des affaires en Suisse et lui soumettre les arrangements qui devaient tout y terminer, je lui témoignai mes doutes si l’on ne revenait au système dont je lui avais souvent parlé; alors il entra en matière et me fit part de son plan, qu’il supposait sans doute trop avancé pour que rien pût le déranger.
Il s’y agissait de rendre à Berne toute l’Argovie qui lui avait appartenu, excepté Aarau et Aarburg; ces deux villes seraient restées confédérales, l’une pour les assemblées de la Diète, l’autre pour son arsenal. Au moyen de cet arrangement, l’Argovie devenue canton catholique tombait sous le joug de la prêtraille qui, dans le comté de Baden et les Provinces libres avait déjà trop d’ascendant, grâce surtout au riche couvent de Muri, à celui de Wettingen et à d’autres. D’ailleurs morcelé, sans consistance, ce nouveau canton n’avait plus assez d’hommes capables pour son administration, et devenait nul; pressé dans son centre par celui de Berne, il devenait nécessairement son humble satellite. Je m’élevai avec force contre un tel projet, dont je cherchai à faire sentir les fâcheuses conséquences, assurant Capo d’Istria que, loin de rétablir la paix par là, il risquait le contraire; l’indignation d’avoir été cruellement trompés pouvait pousser les Argoviens à des extrémités
1. Monod, op. cit., t. II, p. 248-249.
p. 143
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qu’il ne prévoyait pas; elle devait au moins nécessairement toujours plus exalter les passions et accroître les défiances. Capo d’Istria prétendit que l’Autriche exigeait ce sacrifice et ne consentait à céder le Frickthal qu’à cette condition. Le soir même du jour où il me dévoilait ce plan, il devait être mis sous les yeux de l’empereur; on le lui aurait sans doute présenté, ainsi qu’on me l’avait dit, comme conciliant tout, peut-être comme ayant l’assentiment des intéressés, ce qui eût entraîné celui du prince. L’affaire conclue, il n’eût plus été possible d’en revenir; et voilà comment se traitent la plupart de celles qui intéressent le plus les peuples: le prince est toujours l’instrument aveugle du ministre qu’il estime être le sien.
Je me hâtai d’informer de La Harpe de ce que je venais d’apprendre, je résumai en quelques mots tout ce qui résulterait de ce beau projet, et je le priai de le mettre sous les yeux d’Alexandre, en lui rappelant sa parole, à laquelle on allait chercher sous de faux prétextes à le faire manquer sans qu’il s’en doutât. La manière dont ce prince s’expliqua à l’audience qu’il nous donna fut la réponse à mon billet à de La Harpe, qui m’avait déjà prévenu de l’issue. Ainsi, par un hasard extrêmement heureux, fut paré le coup le plus funeste qui pût être porté à l’Argovie.
C’est donc incontestablement l’intervention rapide et directe de Monod et La Harpe qui entraîne l’échec du plan défendu par Capodistrias. Et c’est dans ce contexte que s’inscrit la suite du récit de l’autobiographie:1
Effectivement au bout de quelques jours je reçus l’ordre de me rendre chez Sa Majesté. «Vous préférez sans doute», me dit l’Empereur, «de retourner en Suisse plutôt que de m’accompagner en Angleterre».— «Oui, Sire, si Votre Majesté veut bien me donner les moyens d’y continuer mon travail». — «Et ces moyens sont», reprit l’Empereur, «de larges concessions à faire à la seigneurie Bernoise.... J’ai vu ces messieurs et j’ai parlé net à l’avoyer de Mullinen. Je ne partage point votre opinion. .. . N’entrevoyez-vous donc aucun autre moyen pour asseoir un ordre de choses stable et permanent? Faut-il absolument faire de Berne la pierre angulaire de la restauration helvétique?» — «Oui, Sire, parce que ce n’est qu’en brisant cette pierre que la France s’est emparée de la Suisse». — «Soit, je ne veux pas m’y opposer, mais entendons-nous. On ne doit pas toucher aux nouveaux cantons. — Comme sous l’acte de médiation, ils feront partie du système fédéral. Si pour satisfaire Berne et pour ramener une pacification durable, il faut agrandir sa puissance territoriale en lui donnant les pays adjacents qui sont à la disposition des alliés, et lui faire
1. Autobiographie, p. 191-192. Cf. A.I.K., t. I, p. 21.
p. 144
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des avantages sur le recouvrement des fonds qu’il avait anciennement placés en Angleterre, j’y consens». Sa Majesté me congédia alors en me serrant la main et me répétant qu’Elle serait bien aise de me revoir à Vienne.
Le lendemain Mr le comte de Nesselrode m’annonça que l’Empereur venait de me conférer l’ordre de S1 Wladimir de la 2e classe.
Les instructions de l’empereur sont formelles: il faudra faire des concessions territoriales aux Bernois, mais sans toucher d’une quelconque façon aux nouveaux cantons. Et c’est bien dans ce sens que travaillera désormais son ministre.
Mission du Genevois Pictet de Rochemont à Paris
Les pourparlers qui eurent lieu à Paris au printemps 1814 avaient pour objet principal de fixer les nouvelles frontières à accorder à la France vaincue; mais on sait que Talleyrand, grâce à son habileté diplomatique, réussit à imposer le point de vue que les Bourbons n’avaient pas à faire les frais des guerres de la Révolution et de l’Empire; ainsi le Traité de Paris du 30 mai reconnut à la France les frontières d’avant la guerre, soit celles du 1er janvier 1792. La discussion portant sur les territoires conquis par Napoléon et sur le sort desquels il fallait statuer fut remise à plus tard, lors du Congrès qui devait s’ouvrir à Vienne. Ainsi, la plupart des points litigieux en Suisse (Evêché de Bâle, Valteline) restaient en suspens; ce qui était somme toute préférable tant que les députés de la Diète n’avaient pas réussi à se mettre d’accord sur les bases essentielles du Pacte fédéral. Un seul point fut tranché définitivement — et malencontreusement pour la Suisse ! — parce qu’il touchait directement à la France: la frontière occidentale entre la Suisse et la France, plus exactement entre Genève et la France.
Selon une formule chère aux historiens genevois, Genève, pour être acceptée dans la Confédération, avait besoin d’une «dot suffisante et de papiers en règle».1 Les «papiers», c’est une constitution cantonale qui puisse être agréée, par une majorité de cantons; la «dot» avait été clairement définie dans les mémoires que Pictet de Rochemont, à l’instigation de Stein, avait adressés aux souverains alliés à Bâle en janvier 1814. Il s’agissait avant tout d’obtenir la contiguïté du canton avec la Suisse, par la rive du lac avec le canton de Vaud, ou éventuellement
1. L. Binz, Brève histoire de Genève, Genève 1981, p. 51-52.
p. 145
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lement par la rive sud avec le Valais; et le désenclavement des communes genevoises pour qu’elles forment un tout; à ces considérations géographiques s’ajoutait l’idée de ne pas être à charge des autres cantons au point de vue agricole. Et des impératifs stratégiques déjà évoqués: une frontière naturelle pour défendre le bastion occidental de la Confédération. Ce projet exigeait la cession par le roi de France du Pays de Gex; ce que l’on pouvait négocier en invoquant des droits historiques sur la région (promesses non tenues par Henri IV). La cession des communes savoyardes qui permettrait le désenclavement et une frontière sud correcte devaient être obtenues du roi de Sardaigne contre des compensations et indemnités dont la discussion était remise à plus tard (Vienne et Turin).
Ce fut Pictet de Rochemont qui eut la charge de présenter les revendications genevoises à Paris. Mission d’autant plus inconfortable que, lorsqu’il arriva à Paris le 18 avril, le Gouvernement provisoire genevois n’était toujours pas reconnu par l’occupant autrichien; il fut extrêmement difficile à Pictet d’obtenir les audiences nécessaires chez les ministres. Autre inconvénient: le manque d’instructions claires et cohérentes de ses commettants. Dans ses mémoires de janvier, Pictet avait été un partisan fervent de la «grande Genève». Au cours du printemps, il réalisa que le Gouvernement provisoire, qui reprenait à Genève les rênes du pouvoir, était formé en grande partie de «vieux Genevois» qui s’inquiétaient d’être majorités par un apport de population campagnarde et catholique. Ce qui entraîna Pictet à modérer considérablement ses revendications, notamment dans une note remise imprudemment à Metternich le 10 mai. Scrupules à contretemps, puisque le Conseil provisoire réalisait de son côté qu’il n’obtiendrait pas de la Diète l’union du canton à la Confédération si Genève n’apportait pas des territoires suffisamment étendus.1
Les lenteurs de la poste amènent une série de quiproquos tout à fait regrettables. La correspondance échangée entre Genève et Paris est considérable, surtout entre Pictet et son ami Albert Turrettini, membre du Gouvernement provisoire. Elle a été étudiée très scrupuleusement par les historiens genevois et ce n’est pas notre propos de revenir sur les raisons de l’échec relatif de cette mission. En résumé, nous constatons que Pictet, accompagné de son neveu Jean-Gabriel Eynard, le futur philhellène, puis de Charles Lullin dépêché par le Conseil provisoire au début mai, passe beaucoup de temps à faire antichambre chez les mi-
1. Pour le détail des tractations, voir P. Waeber, op. cit., p. 113 sv.
p. 146
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- [Σελίδα τίτλου]
- Κώστα Δαφνή, Προλογικό σημείωμα
- Γρηγόρη Δαφνή, Ο Καποδίστριας στην Ελβετία (1813-1814)
- Michelle Bouvier-Βron, Avertissement
- La Mission de Capodistrias en Suisse (1813-1814)
- Τα κείμενα / Les documents
- Τα 22 καντόνια της Ελβετίας του 1815
- Επεξηγήσεις
- Ευρετήρια
- [Εικόνες]
- Carte de la Confédération helvétique / Χάρτης της Ελβετικής Συνομοσπονδίας
- La Landsgemeide de Trogen du 1er avril 1814 / Η Εθνοσυνέλευση του Τρόγκεν, την 1η Απριλίου 1814
- La formation du territoire du Canton de Genève / Η εδαφική διαμόρφωση του Καντονιού Γενεύης
- Billet autographe de Capodistrias à Henri Monod, daté du 11 août 1814 (Document n° 71) / Αυτόγραφο σημείωμα του Καποδίστρια προς τον Henri Monod, με ημερομηνία 11 Αυγούστου 1814 (Έγγραφο αρ. 71)
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- Αρχείον Ιωάννου Καποδίστρια, τ. Ι΄, 1983
Ces démarches du gouvernement français ont réveillé toutes les prétentions du patriciat et celles des anciens cantons sur les pays sujets et les ci-devant bailliages. Elles ont entravé le cours des opérations de la diète, et ce n’est qu’avec des peines infinies que nous sommes parvenus à leur faire reprendre leur marche primitive et à les conduire vers un premier résultat, la composition du pacte fédéral.
C’est pour en hâter la conclusion que nous avons fait sentir aux plus marquants parmi les membres de la diète que l’envoi d’une députation à Paris pour féliciter Louis XVIII nous paraissait déplacé tant que la Suisse n’aurait point jeté les bases de son pacte fédéral et que conséquemment nous étions résolus de fixer l’attention de nos cabinets sur cet empressement de la part des 13 anciens cantons. Cette seule communication confidentielle a suffi pour les décider à ajourner la députation jusqu’à ce que le pacte fédéral fût achevé.
Le cabinet français doit directement ou indirectement contrarier notre ouvrage, parce qu’il est de son intérêt de voir la Suisse reprendre un système qui ne puisse s’y soutenir que par l’action continue de l’influence française. Les cantons aristocratiques et quelques-uns des petits cantons paraissent très disposés à seconder ces vues de la France. Il n’est peut-être pas impossible que l’Autriche dans l’intention de produire une opposition d’intérêts entre cette puissance et nous ne songe à faire revivre l’entreprise de M. de Senft. La conduite du comte de Bubna et de son successeur envers Genève semble offrir quelques indices de cette disposition à sacrifier aux intérêts de la France le système politique et territorial qui avait été adopté pour la Suisse. Le premier n’a jamais voulu autoriser formellement la ville de Genève à reprendre son gouvernement et le second s’est opposé à ce que le conseil provisoire qui s’était formé dans cette ville d’après le vœu unanime des habitants, manifestât son existence par un acte public.
Dans cet état de choses il est urgent de presser la reconstitution fédérale de la Suisse et d’insister pour que l’indépendance de ce pays ne soit reconnue par toutes les puissances de l’Europe que sur les bases du pacte fédéral. Je travaille assidûment afin que cet ouvrage soit promptement achevé. De votre côté, M. le comte, il semblerait important de prévenir à temps toute décision vague quant à la Suisse, afin qu’il n’arrive point, qu’en reconnaissant simplement et sans condition son indépendance, en abandonnant le système conçu pour sa reconstitution, on ne finisse par rejeter ce pays dans son anarchie et dans une situation qui appellerait nécessairement une intervention et une influence voisine. Or un état de choses si propre à compromettre la tranquillité future de l’Europe, ne semblerait-il pas à v. ex. devoir être soigneusement prévenu?
J’ai l’honneur. . .
Le comte Capodistrias